15 août 2008

    Embrun, Hautes-Alpes

 

 

Grêle, neige et pluie pour une journée d'enfer

 

 

Qu’est-ce qui m’a pris une fois de plus ? Probablement ce désir insatiable de me fixer de nouveaux challenges. A 40 ans je m’étais offert mon premier Ironman, à 45 ans, je devais trouver le petit plus. De discussion en discussion au club avec des triathlètes qui l’avaient fait, Embrun avait émergé comme une évidence.

Si incontestablement, la consécration suprême pour le triathlète reste la qualification et la participation à l’Ironman d’Hawaii, il existe heureusement une série d’étapes intermédiaires qui permettent à chacun de trouver son compte d’excitation et de satisfaction.

En ce mois d’août 2008 donc, alors que d’aucun avait choisi de titiller le record du triple ironman en Allemagne ;-) j’avais opté pour le fameux Embrunman dans les Hautes-Alpes.

La distance est classique, hormis les 8 kilomètres supplémentaires du parcours vélo qui en compte 188, mais on ne va pas pinailler pour si peu. Ce qui est nettement moins commun par contre, c’est le dénivelé de ce même parcours vélo : 5000 mètres de dénivelé positif, avec le célèbre col de l’Izoard à grimper à environ mi-parcours.

Nous étions quatre Titans à tenter l’expérience : Denis, Benoît, Dimitri et moi-même.

Très vite, une difficulté de taille est apparue à mes yeux : les temps limites éliminatoires sur le parcours vélo. La participation au triathlon de l’Alpe d’Huez l’année précédente m’avait convaincu de mes piètres qualités de cycliste, surtout dans un parcours de montagne.

Il n’y avait donc pas trente-six solutions, il fallait absolument augmenter le volume d’entraînement sur deux roues, et si possible avec quelques côtes. Exit donc les sorties le long du canal de Charleroi, bien calé sur le prolongateur, où on se donne l’illusion qu’on est « fit » simplement parce qu’on a dépassé un couple de pensionnés en balade sur le chemin de halage.

Pendant seize semaines donc, j’ai favorisé les entraînements vélo, prenant soin de prévoir quelques sorties longues (de 180 à 200 kilomètres) dans les Ardennes, cumulant jusqu’à 3000 mètres de dénivelé chacune, histoire de me faire une idée de ce que pouvaient représenter les 5000 mètres d’Embrun.

La course à pied fut quelque peu délaissée, faute de temps ; mon souci premier était réellement de rentrer au parc à vélo dans les délais ; pour le marathon, je comptais sur mes qualités de gestionnaire d’effort longue durée, le chrono limite global de l’épreuve ne me faisant pas peur.

 

Le jour de l’épreuve, mes appréhensions face aux difficultés du parcours allaient prendre tout leur sens, mais pour des raisons que je n’avais pas du tout imaginées… Le 25ème anniversaire de l’Embrunman nous réservait une surprise de taille !

 

Vendredi 15 août, 4 heures du matin.

Un éclair de lumière déchire le ciel au-dessus du lac de Serre-Ponçon, illuminant l’espace d’un instant les sommets alentours. Le grondement sourd qui s’en suit quelques secondes plus tard, ainsi que le martèlement de grosses gouttes sur la toile de la tente, me confirme ce que j’avais déjà deviné dans un demi-sommeil.

Et merde, c’est pas vrai, je ne vois pas comment les organisateurs pourraient maintenir l’épreuve dans des conditions pareilles. Je pense à toute cette préparation… pour en arriver là !? Je me lève quand même, on verra bien ; après tout, comme je dis toujours, tout ce qui tombe maintenant ne tombera pas plus tard.

J’enfourne la dernière portion du carbocake que j’ai entamé il y a trois jours, puis je prépare mes affaires.

Je passe ma tête au dehors, l’orage s’est éloigné mais il pleut toujours. Plusieurs tentes sont éclairées, je ne dois pas être le seul à me poser des questions. Ma décision est prise, on y va. Mouillé pour mouillé, j’enfile ma combi de natation, ça m’évitera de prendre froid avant le départ et de tremper mes affaires vélo ou course à pied, et me voilà en route pour le départ qui se trouve à un bon kilomètre du camping.

 

Sur place, le parc à vélo n’est qu’une immense flaque d’eau ; ça va être sympa pour le départ à vélo, on aura déjà les pieds trempés avant de commencer !

Je croise Sylvia et Christian qui sont venus voir le départ, je les salue d’un timide bonjour car je ne suis pas en avance et je rentre déjà dans ma bulle, comme avant chaque départ d’un ironman.

Préparation consciencieuse des affaires pour qu’elles restent au sec. La pluie a cessé momentanément, mais tout peut arriver pendant les nombreuses heures à venir. Je regonfle mes pneus, et… start ! Que se passe-t-il ? Il n’est pas encore 6 heures !? Ah oui, c’est le départ des filles ; il ne faut plus traîner, dans cinq minutes c’est à nous.

Des spots éclairent la zône de départ où le public est déjà bien présent malgré la météo et l’heure matinale. Derrière, c’est la nuit noire ; seul un spot lumineux au loin nous indique l’autre côté du plan d’eau.

 

6 heures, cette fois ça y est, la journée la plus longue de l’année a démarré, et dès cet instant, je me concentre sur le moment présent.

Tout le monde court jusqu’à l’eau ; certains se mettent à nager rapidement, d’autres marchent dans l’eau le plus loin possible. Ce qui compte maintenant, c’est de trouver un rythme qu’on peut tenir pendant une bonne heure. Ce n’est jamais facile au début. A 200 mètres on contourne une petite jetée, et les nageurs se rejoignent comme dans un goulot ; ça joue des coudes ; je dois remettre mes lunettes à plusieurs reprises.

Si les favoris doivent émerger du lot dès la première épreuve, pour les athlètes comme moi, la natation n’est pas déterminante : sortir de l’eau en 1heure10 ou 1heure20 ne change pas fondamentalement le cours des choses. Ce qui importe surtout, c’est de ne pas se fatiguer inutilement. Je pense à Miguel, notre entraîneur : il faut allonger et se laisser glisser…

Pendant le premier tour, il fait toujours nuit noire, mais les organisateurs ont pris soin de placer des lumières aux sommets des bouées, ce qui nous permet de nous orienter assez facilement.

Second tour, déjà ! Tout baigne, c’est le cas de le dire ; je suis dans un bon rythme.

Une pâle lueur commence à dessiner les contours des montagnes qui entourent le lac ; mais je n’ai pas l’envie de m’émerveiller devant le paysage ; ça devient plus monotone et je pense déjà à la suite. Voilà déjà la berge qui se rapproche, j’accélère le mouvement de jambes pour favoriser la circulation, je me redresse et commence à courir. Le chrono au-dessus du tapis électronique indique 1heure09 et une poignée de secondes pour les 3800m: super, c’est mon meilleur temps et je me sens en pleine forme ; les entraînements ont payé.

 

Transition laborieuse, il y a des flaques d’eau partout et il faut bien s’équiper pour affronter le froid matinal car il n’est jamais que 7 heures du matin.

7h18, me voilà parti pour la partie la plus dure de la journée.

Dès la sortie du parc, 300 mètres de plat, on tourne à gauche et ça commence à grimper pendant environ 20 kilomètres.

J’ai reconnu la première boucle de 45 kilomètres autour du lac, et je sais donc à quoi m’attendre : pas question de m’installer dans un faux rythme qui ne serait pas le mien, et je décide donc de mouliner sur mon petit plateau dès le début. Plusieurs concurrents me dépassent, mais peu importe. Après une heure de vélo, mon compteur indique péniblement 15 km/h de moyenne ; heureusement que je m’y attendais, et rapidement c’est la descente sinueuse, magnifique quand il fait beau, avec vue imprenable sur le lac. La moyenne remonte, j’arrive sur la nationale qui vient de Gap, avec son faux plat descendant jusqu’au pont sur le lac à Savinnes. La première boucle s’achève déjà ; à peine le temps d’adresser un signe à Eric devant l’hôtel des Bartavelles, et je tourne à droite vers Les Orres. Ma moyenne est remontée entre 24 et 25 km/h, ça va, je suis légèrement en avance sur mes prévisions. A partir de là, je rentre dans l’inconnu puisque je n’ai pas reconnu cette partie du vélo. On enchaîne les petites côtes et les petites descentes sur la rive gauche de la Durance jusque Mont Dauphin, et là à droite vers Guillestre. C’est là que ça commence à monter, d’abord l’air de rien, puis de plus en plus. La combe du Queyras donne l’illusion permanente d’un faux plat descendant, et pourtant il suffit d’un coup d’œil au compteur pour se convaincre que ça monte bel et bien. Après Arvieux, à Brunnissard, commencent les choses sérieuses : petit plateau et je mouline. Le rythme n’est pas rapide, mais régulier. Après quelques lacets, on peut contempler la vallée : on voit au loin les cyclistes qui arrivent à Brunissard ; je préfère être à ma place qu’à la leur, et probablement que d’autres, plus haut encore, se disent la même chose en me voyant.

Dimitri me dépasse ; je ne l’avais pas encore vu depuis notre arrivée à Embrun. Il me dit avoir crevé au kilomètre 4, pas de chance. Je le laisse continuer sur sa lancée.

Ça commence à sentir le sommet, des spectateurs annoncent qu’après le prochain virage on voit le col, ce qui s’avère finalement vrai, même si il est encore loin. Et puis subitement ça descend ! oh non, pas ça… tout ce qu’on descend, il faudra le remonter, je le sais. C’est la Casse Déserte, paysage lunaire, qui doit être magnifique sous le soleil. Il fait de plus en plus froid ; je n’ai toujours pas quitté mes manchettes depuis ce matin. Un panneau annonce un photographe… cheese. Et voilà le dernier tronçon de montée, l’Izoard est vaincu, ça y est. Il est 12heures20 et le temps limite est de 13heures10 ; 50 minutes de bon, et 10 minutes par rapport à mes estimations. A ce moment précis, je pense que plus rien ne peut m’arriver ; j’ai une petite heure d’avance sur le couperet du temps limite, et la grosse difficulté, c’est le Chalvet en fin de parcours, mais que j’ai reconnu il y a trois jours. Je sais donc plus ou moins à quoi m’attendre. Normalement maintenant, ça descend jusque Briançon, ensuite parcours relativement roulant (aujourd’hui, vu la température –il fait 2 degrés ici en haut-, on ne risque pas de vent thermique de face) jusqu’Embrun, et ensuite la petite boucle du Chalvet d’environ 15 kilomètres.

Le ciel se couvre, je décide de repartir avant 12heures30. Il fait de plus en plus froid, de plus en plus sombre ; et finalement l’enfer se dessine. J’ai entamé la descente, deux ou trois lacets tout au plus, et je reçois subitement des grelons sur mon casque : un, deux, dix, quinze,… ; et puis c’est le déluge, le ciel se déchire et des trombes de grêle s’abattent sur la montagne. Un orage qui fait peur. Il n’y a absolument rien pour s’arrêter, juste la route, des rochers et quelques arbres. Les questions fusent : faut-il continuer ? n’est-ce pas dangereux ? Un éclair déchire à nouveau le ciel, suivi à quelques secondes d’un terrible craquement sonore. Là ce n’est vraiment pas tombé loin ! Je ne suis pas à l’aise, mais je ne vois pas ce que je peux faire d’autre que continuer. Il a fallu deux minutes à peine pour que je sois trempé et transi de froid. Mes tremblements font osciller mon guidon de gauche à droite ; je ne peux pas rouler à plus de 35 km/h, j’ai peur de la chute, d’autant que la route est devenue glissante.

Après des minutes de descente interminables, j’entrevois les premières habitations. Je me demande que faire quand j’aperçois une  quinzaine d’athlètes alignés le long d’un chalet, vaguement abrités par le débordement de la toiture. Ni une ni deux, je me joins à eux, et nous voilà tous là à attendre que nos grelottements se calment. C’est horrible, j’ai des crampes partout et je commence à avoir mal au dos à force de contractions musculaires dues au froid.

Un voisin arrive avec du thé chaud, super sympa, je crois qu’il a pitié de nous. Ça fait du bien par où ça passe, mais c’est loin d’être suffisant pour récupérer. J’entends mes compagnons d’infortune jeter le gant à tour de rôle ; j’ai du mal à admettre que je vais devoir abandonner. Voilà presque 40 minutes que je suis à l’arrêt, et je suis toujours transi. L’avance que j’avais sur le délai de mise hors course a fondu. Là si je veux terminer Embrun, il faut repartir tout de suite, sinon c’est fini. Je me décide et j’enfourche péniblement mon Cannondale. Un petit signe aux autres : « moi, j’y vais », et me voilà reparti. Il y a un vent froid d’autant plus pénible qu’il souffle de face, ce qui n’arrange rien. Commence alors une course infernale contre le chrono pour ne pas être éliminé au temps. Ça descend toujours vers Briançon, mais avec ce vent, la moyenne n’est pas terrible. A plusieurs reprises, je regarde mes pneus pour voir si je n’ai pas crevé tant j’ai l’impression de rester collé à la route.

Traversée de Briançon, suivie de quelques kilomètres sur la N94. ça roule, mais le temps passe beaucoup trop vite, et les kilomètres eux, ne défilent pas comme je voudrais. Cent fois, je refais mes calculs et mes extrapolations, en espérant tenir le coup jusqu’au parc à vélo. Je dois y arriver !

A Prelles, on quitte la nationale pour la D4 qui reste sur la rive droite de la Durance ; mais pas au niveau de la rivière ! non, non, non ; ça monte et ça redescend sans cesse, pour changer.

Quelques réminiscences de mon arrêt dans l’Izoard me rappellent à l’ordre : le froid et les crampes ont laissé des traces. Je n’arrive plus à tirer sur mes pédales, je dois m’arrêter, j’ai une douleur dans l’aine. Cette fois je crois que c’est fini, je vois mes rêves d’Embrunman s’envoler. Je marche en me massant pour faire passer cette crampe. J’en profite pour boire et m’alimenter. Enfin je me décide à repartir en évitant de trop tirer.

Encore quelques kilomètres, et j’arrive dans une belle côte rectiligne ; ça monte solidement et je m’y attendais pas du tout ; c’est la côte de Pallon.

J’en vois un devant moi qui roule en zigzag car il n’arrive plus à pousser suffisamment pour rouler droit. Je bénis mon triple plateau, et j’arrive à garder un certain rythme.

Après Pallon, les descentes se font plus nombreuses mais ne sont pas toujours faciles, notamment au retour sur la nationale à hauteur de Saint-Clément. La route est sinueuse et je suis plus souvent sur mes cocottes de freins que sur mon prolongateur. C’est pas vraiment ça qui va faire remonter ma moyenne de manière miraculeuse, mais au moins les jambes se reposent un peu.

Sur la N94, on revient en arrière pour passer la Durance et basculer sur l’autre rive ; et c’est reparti pour quelques côtes et descentes qu’on a déjà découvertes à l’aller vers Guillestre. On a tendance à se souvenir davantage des côtes que des descentes, mais curieusement dans l’autre sens, c’est le contraire.

Je refais pour la nième fois mes calculs : il y a un temps limite au Pont Neuf, juste avant Embrun, puis au Chalvet, et enfin au parc à vélo. Ça va être juste.

Tout à coup, je vois apparaître Eric qui est venu à vélo à ma rencontre ; ça fait plaisir de voir un ami ; il roule à mes côtés et ça me regonfle quelque peu.

La moyenne est bonne et j’arrive finalement sans encombre au Pont Neuf où je croise les coureurs qui sont dans le marathon. Pas de souci avec le temps éliminatoire, mais je sais qu’il reste le Chalvet, qui risque d’être un rien plus pénible avec plus de 170 bornes dans les jambes. La présence d’Eric qui m’encourage et l’odeur de l’écurie m’aident à maintenir un rythme raisonnable. Je mouline, tout à gauche avec mon 30/25 ; il y a le chrono c’est vrai, mais il ne faut pas oublier qu’il reste un marathon à courir.

La fin approche, je le sens, plus qu’un lacet et ça s’aplanit jusqu’au Chalvet. Voilà, ça y est, je suis dans les temps ; normalement maintenant, il n’y a plus de problème pour rentrer au parc dans les délais. La descente est assez technique avec des virages assez serrés et pas mal de gravillons sur la route, tout ce qu’il faut pour plaire à Jean-Paul, mais à quelques kilomètres de l’arrivée, j’enchaîne tout cela en souplesse.

Peu avant la fin, je croise à nouveau le marathon, et voilà justement Benoît qui court avec Christine M. On s’encourage mutuellement ; il a l’air plutôt à l’aise.

Dernier virage avant la ligne droite de l’arrivée ; applaudissements nourris, ce n’est pas pour moi mais bien pour les premiers concurrents qui terminent leur marathon.

Il est 16heures35, je regarde mon compteur, il indique 22,2 km/h de moyenne ; et avec mon arrêt forcé, ça fait quand même un temps global de 9heures17 pour les 188 kilomètres de vélo. Mais je suis tellement content d’y être arrivé ! L’heure fatidique était 17heures15, j’ai donc encore 40 minutes de bon.

 

Je descend de vélo et me dirige vers mon emplacement sans me presser ; je compte bien profiter de ma transition pour récupérer, car la fin de mon parcours vélo et cette course contre le chrono pour éviter l’élimination prématurée m’ont pompé pas mal d’énergie.

Une charmante jeune fille me demande si je souhaite un massage. Je décline poliment, mais elle me suit quand même ; j’ai dû mal articuler. Bah après tout, autant en profiter.

Je dépose mon coursier, me change rapidement et m’assied pour me laisser masser les mollets, les cuisses et les pieds.

Je dois bien avouer que ça fait du bien, et ce ne sont pas ces quelques minutes de plaisir qui me feront rater le podium ;-)

Christine et les enfants sont venus me voir dans la transition, ils sont juste là, de l’autre côté du grillage qui entoure le parc. Bon allez, faudrait pas s’endormir. Je me lève de ma chaise et me voilà parti pour le troisième et dernier volet de ce triptyque insensé : plus que 42 kilomètres à pieds !

Les enfants m’encouragent : « Allez papa ! » ; ça fait toujours du bien.

On commence par un tour du plan d’eau. Au passage, je salue Sylvia et Christian que je n’ai pas eu le temps de remercier le matin.

Ensuite le marathon se dirige vers Embrun : ça monte à nouveau. Je rencontre les Thomas et Jean-Paul m’accompagne dans la montée vers le village. Ça continue à monter dans la ville piétonne avant de redescendre vers la Durance ; petit aller-retour sur la rive droite, puis traversée au Pont Neuf et en route pour Baratier. Eric, qui m’a à nouveau rejoint à vélo, m’accompagne une grande partie de ce premier tour. On discute le coup et ça permet de moins penser à ce qui reste à courir.

La moyenne n’est pas très élevée, et je marche à chaque ravitaillement, mais ça n’a pas une grande importance, je ne suis plus du tout stressé par les délais.

Par contre avec le soir qui tombe, apparaît un autre ennemi : le froid, qui pompe aussi de l’énergie ; déjà qu’il n’a pas vraiment fait chaud de toute la journée. Heureusement à pied, on le gère plus facilement qu’à vélo.

J’en termine avec le premier tour et il y a pas mal d’ambiance à quelques endroits dans la descente de Baratier vers le lac ; ça relance la machine.

Au lac, Christine et les enfants sont à nouveau là pour m’encourager ; ils vont se faire un petit restau pendant mon second tour. Julien me donne son sous-pull que j’enfile avec plaisir. Allez, bon appétit, moi j’ai encore 21 kilomètres à courir. C’est reparti pour un tour ; à priori, c’est plus dur physiquement car la fatigue commence vraiment à se faire sentir, mais psychologiquement c’est plus cool car on peut commencer à décompter.

Avant le village, je retrouve à nouveau Jean-Paul qui m’accompagne une fois de plus. Je marche toute la montée car elle est vraiment casse-pattes, et j’ai envie de souffler. Jean-Paul en profite pour me donner des nouvelles des autres concurrents qu’on connaît. J’apprends que Denis a abandonné à cause du froid ; je n’ai pas de détails, mais j’imagine aisément qu’il a du vivre la même chose que moi dans l’Izoard. Il doit être fort déçu après son expérience de l’an dernier. A l’heure qu’il est, Benoît doit être arrivé, et Dimitri, pas de nouvelles, on ne sait pas où il est.

Arrivé en haut, je recommence à trottiner. Jean-Paul m’accompagne toujours, jusqu’au croisement où attend Marie-Christine. Il me laisse et je continue la descente vers la Durance. Je retrouve une motivation à courir, et je dépasse même plusieurs concurrents, malgré que nous ne soyons plus légion sur le parcours.

Une fois de l’autre côté de la rivière, j’accélère encore ; l’odeur de l’écurie sans doute, même s’il reste encore une dizaine de kilomètres. Mais je le sens bien, et donc, autant en profiter ! Il faut dire que je commence à avoir faim, et que je me verrais bien attablé devant une pizza plutôt que d’ingurgiter des barres énergétiques. De plus, il fait de plus en plus sombre, et je n’ai pas trop envie de terminer dans la nuit noire, même si je sais pertinement que c’est inévitable.

A Baratier, je croise la famille Thomas qui remonte vers Les Orres et qui m’encourage une dernière fois.

En théorie, il n’y a plus qu’à se laisser descendre jusqu’au lac, en prenant soin de bien regarder où on met les pieds ; il fait noir, et ce serait trop bête de se faire une entorse dans un nid de poule ou quelque chose du genre.

Voilà le pont, je traverse et je repasse dessous, direction le plan d’eau, dont il faut encore faire le tour une dernière fois. Malgré l’obscurité, je garde un bon rythme, c’est le « sprint » final, il doit rester deux kilomètres.

Je repasse dans notre camping de l’autre côté du plan d’eau, petite montée, allez, plus qu’un kilomètre !

Et enfin le retour au parc à vélo. Il y a encore du public pour m’applaudir, cela reste magique.

Contournement du parc à vélo, dernière ligne droite de 300 mètres, j’aperçois les enfants : « Venez avec moi ! » Ils courent tous les trois à mes côtés, mais ce n’est pas facile car le public forme deux haies d’honneur assez rapprochées.

Enfin le portique d’arrivée, 15heures50, je lève les bras, c’est fini, je suis Embrunman ! et je crois pouvoir dire que je l’ai mérité, avec les conditions que je viens de vivre…

A l’occasion du 25ème anniversaire, les organisateurs ont même prévu une médaille contrairement aux années précédentes ; je me souviens que cela avait fait l’objet de remarques sur le forum de leur site internet.

Par contre, plus de polo « finisher », ils n’en ont pas prévu en suffisance ; ça me fait sourire, et je leur communique la taille désirée car ils vont l’envoyer à domicile.

L’euphorie de l’arrivée passée, je dois m’asseoir quelques minutes, et je ne vois même pas Dimitri qui arrive à peine trois minutes derrière moi.

Enfin, comme je me l’étais promis, je retrouve Christine, et avec les enfants, nous nous installons dans le seul restau du coin, où je commence par une grande bière !

 

Jean-Luc, Embrunman 2008